25

 

Un quart d’heure après le lever du soleil, les lampadaires des rues de Washington s’éteignirent.

Sam Emmett, traversant le passage souterrain, percevait le bourdonnement du trafic matinal. Il était venu seul, sans escorte, comme les autres. Depuis qu’il avait laissé sa voiture dans le garage en sous-sol de l’immeuble du Trésor, il n’avait rencontré qu’un garde de la Maison Blanche. Dans le couloir menant à la salle du Conseil, il fut accueilli par Alan Mercier.

« Vous êtes le dernier » lui annonça celui-ci.

Le directeur du F.B.I. regarda sa montre. Il était pourtant en avance de cinq minutes.

« Tout le monde est là ? demanda-t-il.

— Oui, sauf Simmons qui est en Egypte et Lucas qui donne cette conférence à Princeton à votre place. »

Lorsqu’il entra, Oates, le secrétaire d’Etat, lui désigna un fauteuil à côté du sien tandis que Dan Fawcett, le général Metcalf, Martin Brogan et Mercier s’installaient autour de la table.

« Je suis désolé d’avoir dû vous convoquer si tôt, déclara alors Oates, mais Sam m’a informé que ses enquêteurs ont découvert comment l’enlèvement a été organisé. »

D’un geste du menton, il demanda au directeur du F.B.I. de poursuivre.

Celui-ci distribua un dossier à chacun des hommes présents dans la pièce, puis il se leva, se dirigea vers un tableau et, à l’aide d’une craie, entreprit de dessiner le fleuve, la région de Mount Vernon et le yacht présidentiel amarré à l’embarcadère, Il ajouta quelques détails puis, satisfait, se tourna pour expliquer :

« Nous allons prendre les événements dans l’ordre chronologique. Je vais vous résumer la situation et vous pourrez vous reporter à mon rapport pour plus de précisions. Certains faits ont été établis et prouvés. D’autres ne sont que des hypothèses et nous devrons combler les lacunes de notre mieux au fur et à mesure. »

Il commença à écrire dans le coin supérieur gauche du tableau :

« 18 h 25 : l’Eagle arrive à Mount Vernon où les Services secrets ont installé leurs réseaux de sécurité. La surveillance démarre.

20 h 15 : le Président et ses invités s’installent pour dîner. A la même heure, les officiers et l’équipage mangent dans le carré. Les seuls hommes de service sont le chef cuisinier, son aide, et le steward. Cet élément est très important car nous pensons que c’est pendant le repas que le Président, ses invités et l’équipage du yacht ont été drogués.

— Drogués ou empoisonnés ? demanda Oates.

— On ne leur a pas donné de poison, répondit Emmett. Probablement juste un somnifère léger qui a été glissé dans la nourriture par le chef ou le steward.

— Ça semble logique, intervint le directeur de la C.I.A. Il fallait éviter que tout le monde s’écroule brusquement sur le pont. »

Emmett reprit :

« L’agent des Services secrets qui était en poste sur le yacht avant minuit a signalé que le Président et le vice-président ont été les derniers à se retirer. Il était 23 h 10.

— C’est bien trop tôt pour le Président, fit Dan Fawcett. Je l’ai rarement vu se coucher avant deux heures du matin.

- 0 h 25 : la brume arrive du nord-est, suivie à 1 h 35 par un épais brouillard provoqué par deux vieux générateurs à brouillard de la marine dissimulés parmi les arbres à 160 mètres en amont de l’Eagle.

— Et c’était suffisant pour toute cette zone ? demanda Oates.

— Avec les conditions atmosphériques appropriées, dans ce cas, l’absence de vent, les deux réservoirs laissés sur place par les ravisseurs peuvent couvrir environ un hectare.

— Mon Dieu, cette opération a dû exiger une véritable armée », s’exclama Fawcett avec effroi.

Le directeur du F.B.I. secoua la tête :

« Selon nos estimations, ils étaient au minimum sept et au maximum dix.

— Mais les agents des Services secrets auraient dû fouiller la forêt entourant Mount Vernon avant l’arrivée du Président ! s’étonna le secrétaire général de la Maison Blanche. Comment ces machines à brouillard ont-elles pu leur échapper ?

— Elles n’ont été installées qu’après dix-sept heures le soir de l’enlèvement, expliqua Emmett.

— Comment les hommes chargés de les faire fonctionner pouvaient-ils voir dans le noir ? insista Fawcett. Pourquoi n’ont-ils pas été repérés et pourquoi n’a-t-on pas entendu le bruit des générateurs ?

— Des équipements de vision à infrarouges suffisent à répondre à votre première question. Quant au bruit, il était couvert par les meuglements. »

Brogan eut une moue dubitative.

« Qui aurait pu penser à ça ?

— Eux, répliqua Emmett. Ils ont abandonné le magnétophone et l’ampli à côté des réservoirs.

— Les rapports indiquent que les agents ont noté une légère odeur d’essence.

— C’est exact, acquiesça le patron du F.B.I. Les générateurs marchent en chauffant un type de kérosène désodorisé et en le pulvérisant en fines gouttelettes qui forment le brouillard.

— Passons à la suite, intervint Oates.

— 1 h 50 : la vedette s’amarre au quai en raison du manque de visibilité. Trois minutes plus tard, le garde-côte informe l’agent Blackowl qu’un signal perturbe leur réception radar. Ils précisent également que le seul contact clair qu’ils ont noté sur leur oscilloscope est celui d’un remorqueur des services sanitaires et de ses trois barges à ordures qui se sont immobilisés près de la rive pour atteindre la dissipation du brouillard. »

Le général Metcalf leva la tête :

« A quelle distance ?

— A 200 mètres en amont.

— Le remorqueur se trouvait donc au-dessus de la zone de brouillard artificiel.

— Effectivement. Et c’est un point crucial. Nous y reviendrons. »

Emmett se tourna à nouveau vers le tableau et recommença à écrire tandis qu’un silence attentif se faisait dans la pièce.

« 2 heures : les agents prennent leurs nouveaux postes. L’agent Lyle Brock monte à bord de l’Eagle après avoir été relevé par l’agent Karl Polaski à l’entrée de la jetée. N’oubliez pas que pendant tout ce temps le yacht est dissimulé à son regard par la nappe de brouillard. Polaski, un peu plus tard, s’approche de la passerelle et parle à un homme qu’il prend pour Brock. Celui-ci, à ce moment-là, était déjà soit inconscient, soit mort. Polaski n’a rien remarqué de suspect sinon que Brock semblait avoir oublié où il devait aller ensuite.

— Il ne s’est pas rendu compte qu’il avait affaire à un étranger ? s’étonna Oates.

— Ils étaient à une dizaine de pas l’un de l’autre et s’exprimaient à voix basse pour ne pas déranger les passagers du yacht.

A 3 heures, Brock s’est simplement fondu dans le brouillard. L’agent Polaski affirme qu’il n’a distingué qu’une vague silhouette. C’est à 3 h 48 que l’agent Edward McGrath a découvert que Brock n’était pas à son poste. Il en a aussitôt informé Blackowl qui l’a rejoint sur l’Eagle quatre minutes plus tard. Le yacht a été fouillé et il n’y avait personne à bord à l’exception de Polaski qui était venu remplacer Brock. »

Emmett posa le morceau de craie et s’essuya les mains avant de conclure :

« Quant à la suite, vous la connaissez. Les recherches infructueuses sur le fleuve et autour de Mount Vernon… les barrages routiers sans plus de résultats…, etc.

— Quelle était la position du remorqueur et des barges après l’alerte ? demanda le général Metcalf avec une soudaine lueur dans le regard.

— On a retrouvé les barges amarrées à la berge, lui répondit Emmett. Le remorqueur, lui, avait disparu.

— Voilà pour les faits, intervint le secrétaire d’Etat. Maintenant, la question est de savoir comment une vingtaine d’hommes ont pu s’envoler du yacht sous les yeux d’une armée d’agents des Services secrets et passer au travers d’un réseau de systèmes de sécurité aussi perfectionné.

— La réponse, monsieur, c’est qu’ils ne se sont pas envolés.

— Qu’est-ce que vous racontez ? »

Emmett, notant l’expression de Metcalf, répondit :

« Je crois que le général a compris.

— J’aimerais bien qu’on m’explique », fit Fawcett.

Le directeur du F.B.I. respira un bon coup avant de lâcher :

« Le yacht que les agents Blackowl et McGrath ont visité n’est pas le même que celui qui a conduit le Président et ses invités à Mount Vernon.

— Nom de Dieu ! s’exclama Mercier.

— C’est difficile à croire », murmura Oates d’un air sceptique.

Emmett reprit sa craie pour dessiner tout en expliquant :

« Environ un quart d’heure après la tombée du brouillard, les ravisseurs ont émis sur la fréquence du radar du garde-côte, le mettant hors circuit. En amont, le remorqueur qui, en l’occurrence, n’était pas un remorqueur mais un yacht en tout point identique à l’Eagle s’est éloigné des barges, que nous avons d’ailleurs trouvées vides, et a commencé à descendre lentement le fleuve. Son radar, bien entendu, fonctionnait sur une autre fréquence que celui du garde-côte. »

Le directeur du F.B.I. traça le parcours du yacht puis poursuivit :

« Quand il est arrivé à une cinquantaine de mètres de l’embarcadère de Mount Vernon et de l’arrière de l’Eagle, il a coupé ses moteurs et s’est laissé dériver au fil du courant qui, à cet endroit, a une vitesse de 1 nœud. Puis les ravisseurs...

— J’aimerais bien savoir comment ils ont fait pour grimper à bord », l’interrompit Mercier.

Emmett haussa les épaules :

« Nous l’ignorons. Pour l’instant, nous en sommes réduits à supposer qu’ils s’étaient auparavant débarrassés du personnel des cuisines pour y mettre des hommes à eux grâce à de faux papiers et ordres de mission des gardes-côtes.

— Je vous en prie, continuez, fit Oates.

— Donc, une fois à bord, les ravisseurs ont largué les amarres de l’Eagle pour le laisser dériver un peu et amener le nouveau yacht à sa place. Polaski n’a rien entendu depuis la berge car tous les sons étaient couverts par le bourdonnement des générateurs de la salle des machines. Ensuite, quand le faux Eagle a été amarré, son équipage, probablement deux hommes tout au plus, a pris place dans un youyou pour rejoindre le véritable Eagle. L’un d’eux a cependant dû rester afin de se faire passer pour l’agent Brock. Quand Polaski a cru lui parler, la substitution avait déjà eu lieu. A la relève suivante, l’homme qui avait joué le rôle de Brock s’est éclipsé, a retrouvé ses complices chargés des machines à brouillard et ils ont tous filé en voiture en direction d’Alexandria. Nous le savons par les empreintes de pas et les traces de pneus que nous avons. »

Tous les regards étaient rivés sur le tableau. Chacun était stupéfié par l’incroyable synchronisation et la facilité avec lesquelles s’était déroulée l’opération au nez et à la barbe des réseaux de surveillance les plus sophistiqués.

« Je ne peux pas m’empêcher d’admirer la façon dont ce plan a été exécuté, déclara enfin le général Metcalf. Il a dû exiger de très longs préparatifs.

— Trois ans selon nos estimations, affirma Emmett.

— Où ont-ils bien pu se procurer un yacht identique ? demanda Fawcett, semblant ne s’adresser à personne en particulier.

— Nos enquêteurs se sont penchés sur le problème. Ils ont consulté les archives maritimes et ont appris que l’Eagle avait été construit par un chantier naval en même temps qu’un yacht identique, le Samantha. Le dernier propriétaire déclaré du Samantha était un gros agent de change de Baltimore. Il a vendu le bateau il y a environ trois ans à un type du nom de Dunn. Il n’a pas pu nous en dire plus. Il s’agissait d’une transaction effectuée en liquide pour échapper au fisc. Il n’a jamais revu Dunn ni le yacht. Le nouveau propriétaire n’a pas fait enregistrer le Samantha et tous deux ont simplement disparu.

— Il était vraiment identique à l’Eagle ? fit Brogan.

— Oui. Depuis l’aménagement, la décoration, la peinture jusqu’à l’accastillage et les caractéristiques techniques. »

Fawcett, qui pianotait nerveusement sur la table avec un stylo, demanda :

« Comment avez-vous deviné ?

— Chaque fois qu’on entre dans une pièce, on laisse des traces de sa présence derrière soi. Cheveux, pellicules, empreintes digitales, tout ça peut être détecté. Mais les gens du labo n’ont absolument rien trouvé indiquant que le Président et les autres avaient séjourné à bord. »

Oates se redressa dans son fauteuil :

« Le F.B.I. a fait de l’excellent boulot, Sam. Merci. »

Emmett inclina légèrement la tête et se rassit.

« La substitution de bateaux ouvre de nouveaux horizons, reprit le secrétaire d’Etat. Pour aussi épouvantable qu’elle soit, nous devons considérer l’hypothèse qu’ils aient tous été assassinés.

— Il faut mettre la main sur ce yacht », déclara Mercier d’un ton résolu.

Le directeur du F.B.I. se tourna vers lui :

« Les recherches ont déjà commencé.

— Vous ne le trouverez pas avec les moyens habituels, intervint Metcalf. Nous avons affaire à des gens drôlement organisés et malins. Ils ont certainement pris toutes leurs précautions. »

Fawcett brandit son stylo :

« Vous voulez suggérer que l’Eagle a été détruit ?

— C’est bien possible, répondit le général avec une lueur d’appréhension dans le regard. Dans ce cas, il faut nous préparer à ne découvrir que des cadavres. »

Oates s’épongea le visage. Il aurait tout donné pour être ailleurs que dans cette salle.

« Nous allons devoir mettre d’autres personnes dans la confidence, déclara-t-il enfin. Pour diriger les recherches sous-marines, je pense à Jim Sandecker de la N.U.M.A.

— Je suis d’accord, approuva Fawcett. Son équipe de projets spéciaux vient juste de régler un problème délicat du côté de l’Alaska en localisant le navire responsable d’une dangereuse pollution.

— Vous voudrez bien lui résumer la situation, Sam ? demanda Oates à Emmett.

— Je vais aller le voir directement en sortant d’ici.

— Bien. Je crois que nous en avons terminé pour l’instant, conclut le secrétaire d’Etat d’une voix lasse. Au moins nous avons une piste. Dieu seul sait quel spectacle nous attend quand nous aurons retrouvé l’Eagle. Je n’envie pas l’homme qui montera le premier à bord. »

 

Panique à la Maison-Blanche
titlepage.xhtml
panique a la Maison-Blanche_split_000.htm
panique a la Maison-Blanche_split_001.htm
panique a la Maison-Blanche_split_002.htm
panique a la Maison-Blanche_split_003.htm
panique a la Maison-Blanche_split_004.htm
panique a la Maison-Blanche_split_005.htm
panique a la Maison-Blanche_split_006.htm
panique a la Maison-Blanche_split_007.htm
panique a la Maison-Blanche_split_008.htm
panique a la Maison-Blanche_split_009.htm
panique a la Maison-Blanche_split_010.htm
panique a la Maison-Blanche_split_011.htm
panique a la Maison-Blanche_split_012.htm
panique a la Maison-Blanche_split_013.htm
panique a la Maison-Blanche_split_014.htm
panique a la Maison-Blanche_split_015.htm
panique a la Maison-Blanche_split_016.htm
panique a la Maison-Blanche_split_017.htm
panique a la Maison-Blanche_split_018.htm
panique a la Maison-Blanche_split_019.htm
panique a la Maison-Blanche_split_020.htm
panique a la Maison-Blanche_split_021.htm
panique a la Maison-Blanche_split_022.htm
panique a la Maison-Blanche_split_023.htm
panique a la Maison-Blanche_split_024.htm
panique a la Maison-Blanche_split_025.htm
panique a la Maison-Blanche_split_026.htm
panique a la Maison-Blanche_split_027.htm
panique a la Maison-Blanche_split_028.htm
panique a la Maison-Blanche_split_029.htm
panique a la Maison-Blanche_split_030.htm
panique a la Maison-Blanche_split_031.htm
panique a la Maison-Blanche_split_032.htm
panique a la Maison-Blanche_split_033.htm
panique a la Maison-Blanche_split_034.htm
panique a la Maison-Blanche_split_035.htm
panique a la Maison-Blanche_split_036.htm
panique a la Maison-Blanche_split_037.htm
panique a la Maison-Blanche_split_038.htm
panique a la Maison-Blanche_split_039.htm
panique a la Maison-Blanche_split_040.htm
panique a la Maison-Blanche_split_041.htm
panique a la Maison-Blanche_split_042.htm
panique a la Maison-Blanche_split_043.htm
panique a la Maison-Blanche_split_044.htm
panique a la Maison-Blanche_split_045.htm
panique a la Maison-Blanche_split_046.htm
panique a la Maison-Blanche_split_047.htm
panique a la Maison-Blanche_split_048.htm
panique a la Maison-Blanche_split_049.htm
panique a la Maison-Blanche_split_050.htm
panique a la Maison-Blanche_split_051.htm
panique a la Maison-Blanche_split_052.htm
panique a la Maison-Blanche_split_053.htm
panique a la Maison-Blanche_split_054.htm
panique a la Maison-Blanche_split_055.htm
panique a la Maison-Blanche_split_056.htm
panique a la Maison-Blanche_split_057.htm
panique a la Maison-Blanche_split_058.htm
panique a la Maison-Blanche_split_059.htm
panique a la Maison-Blanche_split_060.htm
panique a la Maison-Blanche_split_061.htm
panique a la Maison-Blanche_split_062.htm
panique a la Maison-Blanche_split_063.htm
panique a la Maison-Blanche_split_064.htm
panique a la Maison-Blanche_split_065.htm
panique a la Maison-Blanche_split_066.htm
panique a la Maison-Blanche_split_067.htm
panique a la Maison-Blanche_split_068.htm
panique a la Maison-Blanche_split_069.htm
panique a la Maison-Blanche_split_070.htm
panique a la Maison-Blanche_split_071.htm
panique a la Maison-Blanche_split_072.htm
panique a la Maison-Blanche_split_073.htm
panique a la Maison-Blanche_split_074.htm
panique a la Maison-Blanche_split_075.htm
panique a la Maison-Blanche_split_076.htm
panique a la Maison-Blanche_split_077.htm
panique a la Maison-Blanche_split_078.htm
panique a la Maison-Blanche_split_079.htm
panique a la Maison-Blanche_split_080.htm
panique a la Maison-Blanche_split_081.htm
panique a la Maison-Blanche_split_082.htm
panique a la Maison-Blanche_split_083.htm
panique a la Maison-Blanche_split_084.htm
panique a la Maison-Blanche_split_085.htm